Jour Blanc
Massif de l’Annapurna, mardi 14 octobre, témoignage de Pouré Gurung, guide de Base Camp Trek :
« La veille, nous avons dormi comme d’habitude au camp avancé, High Camp, à 4800 m au pied du col du Thorong après une bonne acclimatation de 2 jours à Manang.
Ce matin-là, certains groupes partirent très tôt mais nous avons trainé un peu car j’étais préoccupé par la météo. Il neigeait, le ciel était menaçant mais j’ai estimé que les conditions n’étaient pas suffisamment mauvaises pour justifier auprès de mes clients de redescendre. A 6 :30 h nous avons attaqué la montée vers le col que nous avons atteint vers 9 :30 h.
Dès les premiers lacets, beaucoup de marcheurs, mal équipés, visiblement peu acclimatés et souvent sans guide souffraient déjà du froid et semblaient incapables de monter. Les groupes s’effilochaient dangereusement et lorsque vers 8 :00 h un vent glacé s’est levé, la neige se fit plus intense et la visibilité déjà réduite devint quasi nulle : jour blanc.
Au col, à 5400 m d’altitude, la situation se détériora encore. Des marcheurs épuisés cherchaient leur guide, des porteurs transits tentaient de s’abriter tant bien que mal sous des bâches, des groupes tentaient de se réchauffer en se serrant les uns contre les autres,mais beaucoup de marcheurs étaient assis, hagards dans la neige, hébétés par le mal d’altitude et incapables de décider entre rester sur place ou descendre.
Pour moi la solution était simple : descendre au plus vite. Sans laisser à mes clients et à mes porteurs le temps de se refroidir, je les encordais et j’attaquais la descente non sans avoir exhorté des dizaines de personnes à me suivre.
La descente fut un enfer. On y voyait absolument rien et toute trace de chemin avait disparu. Heureusement je connais bien ce trek et je me laissais guider par mon intuition car je n’avais plus d’autres repères. Parfois des plaques à vent se déclenchaient sous nos pieds, emportant sur quelques mètres des trekkeurs épuisés. Impossible de secourir tout le monde, la seule chose que je pouvais faire était de réveiller, souvent à coup de bâton, des trekkeurs recroquevillées dans la neige, comme tétanisés, en hypothermie avancée, qui se laissaient partir…
Après 12 heures de marche, nous avons fini par rallier Muktinath et Jarkhot, sains et saufs, avec une cohorte de près de 80 personnes qui s’étaient progressivement greffées à notre petite cordée. Mais beaucoup sont restés sur les pentes du col du Thorong en ce jour fatal d’octobre pour ce qui aurait dû être un des plus beaux jours de leur vie. Trop de gens oublient qu’il faut toujours être humble face à la montagne…»
Pouré Gurung, guide de trekking népalais, héros timide et discret, est reparti après 2 jours à Katmandou pour un trek au Manaslu, sans autre commentaire…
Jérome Edou
Octobre 2014
« La veille, nous avons dormi comme d’habitude au camp avancé, High Camp, à 4800 m au pied du col du Thorong après une bonne acclimatation de 2 jours à Manang.
Ce matin-là, certains groupes partirent très tôt mais nous avons trainé un peu car j’étais préoccupé par la météo. Il neigeait, le ciel était menaçant mais j’ai estimé que les conditions n’étaient pas suffisamment mauvaises pour justifier auprès de mes clients de redescendre. A 6 :30 h nous avons attaqué la montée vers le col que nous avons atteint vers 9 :30 h.
Dès les premiers lacets, beaucoup de marcheurs, mal équipés, visiblement peu acclimatés et souvent sans guide souffraient déjà du froid et semblaient incapables de monter. Les groupes s’effilochaient dangereusement et lorsque vers 8 :00 h un vent glacé s’est levé, la neige se fit plus intense et la visibilité déjà réduite devint quasi nulle : jour blanc.
Au col, à 5400 m d’altitude, la situation se détériora encore. Des marcheurs épuisés cherchaient leur guide, des porteurs transits tentaient de s’abriter tant bien que mal sous des bâches, des groupes tentaient de se réchauffer en se serrant les uns contre les autres,mais beaucoup de marcheurs étaient assis, hagards dans la neige, hébétés par le mal d’altitude et incapables de décider entre rester sur place ou descendre.
Pour moi la solution était simple : descendre au plus vite. Sans laisser à mes clients et à mes porteurs le temps de se refroidir, je les encordais et j’attaquais la descente non sans avoir exhorté des dizaines de personnes à me suivre.
La descente fut un enfer. On y voyait absolument rien et toute trace de chemin avait disparu. Heureusement je connais bien ce trek et je me laissais guider par mon intuition car je n’avais plus d’autres repères. Parfois des plaques à vent se déclenchaient sous nos pieds, emportant sur quelques mètres des trekkeurs épuisés. Impossible de secourir tout le monde, la seule chose que je pouvais faire était de réveiller, souvent à coup de bâton, des trekkeurs recroquevillées dans la neige, comme tétanisés, en hypothermie avancée, qui se laissaient partir…
Après 12 heures de marche, nous avons fini par rallier Muktinath et Jarkhot, sains et saufs, avec une cohorte de près de 80 personnes qui s’étaient progressivement greffées à notre petite cordée. Mais beaucoup sont restés sur les pentes du col du Thorong en ce jour fatal d’octobre pour ce qui aurait dû être un des plus beaux jours de leur vie. Trop de gens oublient qu’il faut toujours être humble face à la montagne…»
Pouré Gurung, guide de trekking népalais, héros timide et discret, est reparti après 2 jours à Katmandou pour un trek au Manaslu, sans autre commentaire…
Jérome Edou
Octobre 2014