CAIRNS

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Courte histoire

de la plus haute montagne du monde…

Au Nord-est du Tibet, aux confins de la Chine et de la Mongolie, et traversés par la grande boucle du Fleuve Jaune, s’étendent de vastes plateaux herbeux qui descendent doucement vers la Chine. Cet immense territoire, que les Tibétains appellent Amdo, couvre le nord-ouest du Séchuan, une partie du Kansou et la province chinoise du Qinghaï. A l’Ouest, ses frontières se perdent dans le désert du Tsaïdam ‘les marais salants’, tandis qu’elles s’étendent au sud jusqu’à la frontière de la Région Autonome du Tibet (central).
Au cœur des plateaux s’élève la montagne sacrée des Gologs, l’Amnyé Machen. Ce massif, dont on découvre au loin les sommets enneigés, est la résidence de Machen Pomra, le chef des divinités locales de la région du Fleuve Jaune. Sur son destrier céleste, protégé par son heaume et sa cuirasse en or, il porte une lance et enlace tendrement sa parèdre. Protecteur laïc, il était ‘sorti’ chaque soir de l’enceinte des monastères car il ne pouvait y passer la nuit avec sa compagne sans enfreindre la règle stricte du célibat. C’est pour lui rendre hommage, ainsi qu’aux trois cent soixante dieux secondaires de sa suite, que chaque année près de dix mille pèlerins effectuent à pied le tour de la montagne en un pèlerinage de sept jours.

Dans les années trente, J.F. Rock fut le premier voyageur occidental à mentionner la montagne :
‘Je m’arrachais difficilement à cette vue sublime qu’aucun Occidental n’avait contemplée avant moi et je demeurai quelque temps sur ce sommet isolé, perdu dans ma rêverie, comprenant soudain pourquoi les Tibétains rendent un culte à ces montagnes neigeuses en tant que symbole de pureté’’.

C’est sans doute la magie qu’exerça l’Amnyé Machen sur l’explorateur américain qui donna naissance au mystère qui allait envelopper la montagne jusqu’à nos jours. Bien que le Français Grenard ait estimé le sommet à 6 500 m sur sa carte parue dans son ouvrage : ‘Mission scientifique dans la haute Asie’ publié en 1894, J.F.Rock envoya un télégramme à son commanditaire, la ‘National Geographic Society’, précisant qu’il avait estimé l’Amnyé Machen à près de 30000 pieds, soit 9000 m, d’altitude ! Le rédacteur en chef de la vénérable institution ne voulut pas publier le scoop avant que Rock ne lui ait fourni des preuves solides. Il semble évident que la pensée de donner son nom sur la plus haute montagne du monde – The Rock ? – et détrôner ainsi Sir George (Everest) a sûrement effleuré l’esprit perturbé de l’explorateur. On raconte d’ailleurs qu’il ne se déplaçait jamais sans une flopée de serviteurs qu’il envoyait chaque jour monter le camp et lui préparer un lit, quelques tapis anciens et une baignoire d’eau chaude…

Quelque temps plus tard, dans la même revue, Rock conclut : « N’ayant pas de théodolite, je ne pus calculer la hauteur exacte de la montagne, mais par d’autres observations, j’en conclus que l’Amnyé Machen culmine à plus de 28000 pieds (8 400 m environ) ». Le 6 mai 1949, Clark qui parcoure la région pour le compte du Département d’Etat américain pour essayer de réconcilier les musulmans du général Ma et les tribus Gologs, et organiser la résistance face à l’avancée des troupes communistes, confirme les estimations de Rock et annonce que l’Amnyé Machen, avec ses 29660 pieds, est bien la plus haute montagne du monde !

Finalement, en 1952, Rock se range aux conclusions de Grenard, estimant cette fois l’altitude du sommet à 6 500 m mais en juin 1965, une expédition chinoise déclare avoir vaincu l’Amnyé Machen dont l’altitude serait de 7 110 m. Selon Galen Rowell, l’expédition chinoise se serait trompée de sommet, confondant l’Amnyé Machen et son voisin plus élevé… Ce n’est qu’en février 1982 que Galen Rowell met fin à la polémique. Dans un article pour le National Geographic, il décrit son expédition au sommet et lui attribue une altitude de 6 282 m : il aura fallu près d’un siècle pour que se dissipe quelque peu le mystère entourant la demeure de Machen Pomra…
Et que le Sagarmatha reste l’Everest.

Jérome Edou